Les sociétés de recouvrement malmenées par les Juridictions

Les sociétés d’acquisition et de gestion de créances ont pour objet d’acheter des créances aux fins de les recouvrer. Ce mécanisme de cession de créances est parfaitement légal et est prévu aux articles 1321 et suivants du Code civil. L’article 1321 dudit Code dispose que « La cession de créance est un contrat par lequel le créancier […]

Les sociétés d’acquisition et de gestion de créances ont pour objet d’acheter des créances aux fins de les recouvrer.

Ce mécanisme de cession de créances est parfaitement légal et est prévu aux articles 1321 et suivants du Code civil.

L’article 1321 dudit Code dispose que « La cession de créance est un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire. Elle peut porter sur une ou plusieurs créances présentes ou futures, déterminées ou déterminables. Elle s’étend aux accessoires de la créance. Le consentement du débiteur n’est pas requis, à moins que la créance ait été stipulée incessible. »

Ainsi, le cessionnaire qui achète un portefeuille de créances titrées peut reprendre l’exécution du titre exécutoire en lieu et place du créancier primitif.

Dans ces conditions, sur quel fondement les sociétés de recouvrement se font-elles condamnées par certaines juridictions ?

 

  • Qualification de pratiques commerciales déloyales

Arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 14 Septembre 2021 – RG N° 20/05277

En l’espèce, une société de recouvrement est titulaire d’une ordonnance d’injonction de payer rendue par le Tribunal d’Instance d’Amiens le 07/09/2007 et devenue exécutoire le 25/10/2007.

Cette dernière a fait exécuter ledit titre après avoir vérifié qu’il ne souffrait pas de prescription.

La mesure de saisie-attribution dûment dénoncée le 10/12/2019 a fait l’objet d’une contestation devant le Juge de l’Exécution d’Amiens, qui a prononcé la nullité de celle-ci et a constaté l’absence de preuve du transfert de la créance.

Le jugement a fait l’objet d’un appel et la Cour d’appel d’Amiens dans un arrêt du 14 septembre 2021 valide le jugement.

La Cour soulève d’office l’application de la directive 2005/09/CE du 11 mai 2005 qui vise à prohiber les pratiques commerciales déloyales, trompeuses et agressives contre les consommateurs.

Elle estime ainsi que la reprise du recouvrement forcé des contrats de crédits à la consommation plusieurs années après l’interruption des poursuites par le créancier initial, par le cessionnaire ayant acquis le titre dans le cadre d’une cession spéculative de crédits à la consommation est susceptible d’être qualifiée d’abusive.

De surcroît, elle fait référence à l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 20 juillet 2017 (C-357/16).

Dans cet arrêt, la Cour statue sur renvoi préjudiciel et a considéré que la directive 2005/09/CE peut s’appliquer en dehors de toute relation contractuelle entre le cessionnaire (société de recouvrement) et le consommateur (débiteur) et même si la cession a porté sur un titre exécutoire.

Dans l’arrêt d’espèce, la société de recouvrement qualifiée par la Cour de « société prédatrice », a pourtant indiqué que son activité ne constitue en rien une pratique déloyale envers un consommateur et qu’il n’y a aucun abus dans le recouvrement tardif d’une créance tant que celui-ci se fait à l’intérieur du délai de prescription.

Néanmoins, ce n’est pas la position que la Cour d’appel d’Amiens a souhaité adopter.

En effet, cette dernière estime que c’est à juste titre que le premier juge a retenu le caractère brutal de la saisie alors que le débiteur n’avait eu aucune information et approche préalable du cessionnaire durant plusieurs années.

Ainsi apparaît pour la première fois la notion pénale du délit de pratique commerciale déloyale…

 

  • Prescription biennale des intérêts

Jugement rendu par le Juge de l’Exécution du Tribunal Judiciaire de Paris le 07 octobre 2021

En parallèle, le Juge de l’Exécution du Tribunal Judiciaire de Paris indique dans une décision du 07 octobre 2021 que le recouvrement des intérêts prescrits pour une société de recouvrement est considéré comme une pratique commerciale déloyale sur le fondement de la Directive 2005/29/CE et de l’arrêt de la CJUE du 20/07/2017.

En effet, dans un avis du 4 juillet 2016, la Cour de cassation a indiqué que « les créances nées d’une créance en principal fixée par un titre exécutoire à la suite de la fourniture d’un bien ou d’un service par un professionnel à un consommateur sont soumises au délai de prescription prévu à l’article L. 218-2 du code de la consommation, applicable au regard de la nature de la créance. »

Autrement dit, l’action des professionnels, pour les biens et services fournis aux consommateurs, se prescrit par deux ans concernant les intérêts.

En l’espèce, la créance est constatée par une ordonnance portant injonction de payer dont l’origine est un crédit à la consommation avec application d’une prescription quinquennale des intérêts. Le JEX constate qu’une partie des intérêts est prescrite alors qu’ils devraient faire l’objet d’une prescription biennale selon l’avis de 2016.

Le JEX a donc soutenu qu’un tel comportement d’un professionnel du recouvrement est une omission trompeuse, puisqu’il dissimule une information substantielle au débiteur concernant la prescription des intérêts.

Dans ces conditions, il estime que ce comportement est constitutif d’une pratique commerciale déloyale au sens de la Directive 2005/29/CE.

Il est important de savoir que ce comportement peut entrainer des conséquences sur le plan pénal pour les sociétés de recouvrement.

Le JEX a constaté que ce genre de comportement était trop récurrent de la part de ces sociétés et a donc décidé de communiquer son jugement au procureur de la République.

Quelques jours plus tard, la Cour d’Appel de Versailles dans un arrêt du 26 octobre 2021 (RG N° 21/02890) condamne une société de recouvrement à 10 000 € de dommages et intérêts pour avoir demandé le paiement des intérêts sur 26 années.

 

Quelles conséquences ?

Il est opportun de se demander si nous observons les prémices d’une évolution de la jurisprudence en la matière.

Quoi qu’il en soit, il est primordial d’être en alerte sur celles-ci afin de poursuivre de manière sereine le recouvrement de ces créances.

En pratique, les juridictions condamnent la brutalité des mesures d’exécution après une période de plusieurs années sans nouvelles et avec un nouveau créancier, souvent inconnu des débiteurs.

Il est donc important de prendre toutes les précautions nécessaires s’agissant de la procédure civile afin de sécuriser de manière optimale la mise en place du recouvrement des créances dues.

S’agissant des intérêts, la prescription biennale semble désormais la règle incontournable et immuable à appliquer en matière de recouvrement de créances de crédits à la consommation.

Il y a eu renversement de la charge de la preuve. En effet, il n’appartient plus au débiteur d’arguer de cette prescription mais au créancier de la respecter devenant ainsi une preuve irréfragable à la charge du créancier.

Les Huissiers de Justice sont responsables de la bonne exécution des créances qui leur sont confiées. Ainsi, leur sort est directement lié à celui du créancier qui peut les entrainer, de facto, vers des actions en responsabilité civile et pénale.

Publié le : 24/02/2022